Tout est hiver et pourtant tout a changé. La neige s’est transformée en tapis de petites-fleurs-qui-poussent-toujours-au-même-endroit, chaque année plus nombreuses comme pour nous encourager. La lumière a gonflé, le soleil est monté au dessus des peupliers. Des passereaux piaillent dans les branches encore nues du vieux frêne, ton sur ton avec son écorce mouillée.

Je sens autour de moi les remous amples d’un air plus doux en expansion sous le froid encore piquant des matins. Entre ces nappes d’air mou et doux, il faut se glisser comme on se glisserait dans un courant marin chaud pour reprendre confiance dans sa nage. Humer la terre trempée qui exhale qu’elle est prête à tout laisser poindre. Ce que je préfère, c’est aller, et ne rien faire, me laisser imprégner du milieu en train de se transformer. Changer de couleur. Changer de qualité. Ce que je préfère, c’est sentir le plus petit mouvement en moi qui sera un élan mais pas tout de suite : savourer la montée. Chaque minute de cette saison est immense ; toute la joie à venir pliée dans des jonquilles pour l’instant vertes comme des poireaux du potager. Ce que je préfère c’est sentir que nonchalamment, je me suis redressée, que nonchalamment, j’espère je ne-sais-quoi non formulé. Les souvenirs les plus doux redeviennent sans efforts des promesses, ce qui achève de me réveiller est le chant de la tourterelle.

Dans le calendrier Chinois ce temps de février est le premier d’une saison qui s’appelle déjà le printemps et ouvre l’année. Celle ou celui qui veut vivre bien selon la médecine classique chinoise s’appliquera à vivre en harmonie avec les forces du lieu et du temps et sa constitution. Pour bien accompagner cette phase de l’année, je vous propose de contempler les antiques conseils de saison tirés du Canon de l’Empereur Jaune (reproduits en bas de ce billet en langue anglaise).

Sans surprise, cela consiste principalement à ne pas contrarier ce mouvement de la vie qui s’élance à nouveau, cherche son chemin, pousse par delà les nœuds. C’est pourquoi il est conseillé de détendre son attitude, renoncer aux postures engoncées, marcher d’un pas enlevé et souple les cheveux détachés, porter ses pensées vers la vie, encourager plutôt que punir, faire naître et ne pas tuer, donner et non prendre… J’ajouterais tout ce qui facilite corps et âme une circulation et une expression libre, fluide, souple, bienveillante, mesurée, accommodante mais vivante.

Dans la nature cette saison est la saison du vent qui souffle, du bois qui pousse, de la sève qui monte, du bas vers le haut et du centre vers la périphérie. Dans le corps elle est donc associée, en théorie et par analogie, au système-organe Foie, dont une des fonctions selon la médecine classique chinoise serait justement de soutenir ce mouvement centripète du souffle vital Qi dans toutes les directions du corps depuis ses profondeurs : c’est pourquoi il est dit dans le texte que « ne pas se comporter en accord avec la saison [du printemps] blesse le Foie ». C’est aussi en partie pourquoi vous lirez peut-être ici et là des (plus ou moins bons) conseils sur le soin du foie au printemps, que je vous invite toutefois à ne pas prendre au pied de la lettre sans ressentir et réfléchir (il n’y a pas une équivalence exacte entre les organes et Organes des médecines occidentales et orientales + poser un diagnostic n’est pas tellement plus simple ni dans l’une ni dans l’autre + ce n’est pas parce que ce serait « la saison du foie » que vous, la personne que vous êtes et où vous êtes aujourd’hui dans la vie, avez à coup sûr besoin d’une détox). D’ailleurs si nous observons ce bref extrait du classique, nous voyons qu’avant toute chose (et il en est de même pour toutes les saisons, chacune préparant la suivante) le soin de soi est affaire de disposition à l’égard de la vie, une attitude générale, qui lorsqu’elle serait en accord avec la constitution et les circonstances du temps et du lieu permettrait d’éviter – autant que possible et dans une situation idéale – de se déséquilibrer et de devoir avoir recours à des diètes, pharmacopées ou autres aiguilles.

Je vous invite à vous baigner comme vous le pouvez dans la nouvelle saison, à vous laisser aller à la contemplation, à l’observation, au ressenti : Qu’est-ce qui bouge autour de vous et en vous en ce moment ? Qu’avez-vous envie d’étirer, de dénouer, de nourrir ? De quoi avez-vous besoin pour tendrement, souplement, sans efforts et sans entraves, vous tourner à nouveau comme la nature vers l’extérieur, pour suivre le mouvement de la renaissance et de l’expression ? Et voici une mélopée de Qin pour aider à accorder le cœur !

The three months of Spring,

they denote effusion and spreading.

Heaven and Earth together generate life;

the myriad beings flourish.

Go to rest later at night and rise early.

Move through the courtyards with long strides.

Dishevel the hair and relax the physical appearance,

thereby cause the mind to orient itself on life.

Give life and do not kill.

Give and do not take.

Reward and do not punish.

This is correspondence with the Qi of Spring and

it is the Way to nourish life.

Opposing it harms the liver.

In summer this causes changes to cold,

and there is little support for growth.”

Huang Di nei jing su wen, Chapter 2: Comprehensive Discourse on Regulating the Spirit in accordance with the Qi of the Four seasons.

P. U. Unschuld annotated translation, University of California Press.

Merci et heureux printemps à Larry Ibarra et l’IEETC de Porto